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Je ne suis pas jolie (2018)

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Crédit

Mise en scène : Julien Barbazin
Avec : Camille Roy

Co-production Festival de caves

Affiche:  Jean-Marie carrel
Photographe: Patrice Forsans @ July Bretenet

Dates

  • Besançon; 7, 8, 9, 13, 20 mai 2018
  • Oricourt; 11 mai 2018
  • Gy; 12 mai 2018
  • Baulay; 19 mai 2018
  • Mouthier Haute Pierre; 21 mai 2018
  • Chaucenne; 22 mai 2018
  • Amiens; 12, 13 juin 2018
  • Dijon; 27,28,29,30 juin 2018
  • TEASER by Fabio FALZONE

 

Pour Angélica Liddell, la relation entre les hommes et les femmes (du fait des hommes) n’a jamais été un chemin parsemé de roses, au contraire elle a plutôt été comparable pour reprendre la formule de Thomas Hobbes (in « Léviathan ») à « Bellum omnium contra omnes », à la guerre de tous contre tous, ou mieux à la guerre de tous contre toutes ; ou mieux encore à la guerre de UNE contre tous.

Au démarrage de cette nouvelle création « Je ne suis pas jolie », Julien Barbazin (metteur en scène, une fois de plus « très inspiré », dixit Pearl Manifold) et Camille Roy (comédienne très investie) convient à une petite soirée, toute en douceur et pleine d’innocence, de cabaret.

Attendu que nous sommes à la fête, deux couvertures de survie couleur or servent de fond de scène, tandis que trônent sur la scène un tabouret, un micro, l’interprète de Music-hall et son instrument de musique l’accordéon.

Pendant son petit mot d’accueil chaleureux, la comédienne allume, en supplément du projecteur qui enserre son visage, un dispositif lumineux disco qui fonctionnera à plusieurs vitesses durant tout le spectacle.

Pour nous mettre dans l’ambiance légère et festive, l’interprète, avec l’aide de son accordéon, enchaîne trois petites chansons disco célèbres. Au terme de la troisième, un événement surgit (un dérèglement) sans que l’on sache, ce qui jette un peu dans l’embarras, s’il s’agit d’un événement involontaire ou l’inverse.

A son retour, la comédienne rit. Son rire est provoqué par la gêne, par l’incongruité, pour ne pas dire l’obscénité, de la situation. L’interruption du concert, signant la fin de la petite soirée entre ami-e-s, est suivie d’un grand déballage.

On rit beaucoup (nous pourrions rire davantage s’il l’on osait) du franc-parler, direct (poing gauche, poing droit), de la jeune femme.

A travers un habile montage de trois pièces d’Angélica Liddell (« La Maison de la force », « Je te rendrai invincible par ma défaite », « je ne suis pas jolie »), nous suivons sa revanche. Dans sa relation avec les hommes, elle était pleine de bonne volonté au départ. Comme les autres femmes, elle était prête à tout pour sauver son couple, même à changer de nature. Rapidement, elle a déchanté et très vite elle a rencontré la véritable nature des hommes (chez Angélica Liddell, aucun homme n’est à sauver) : domination, violence, esprit retors, malfaisance, cruauté, obscénité, ivresse du pouvoir, machisme.

Elle a perdu la foi, toute la foi en l’amour. Blessée, elle s’est plongée dans le stupre, elle a choisi de devenir ce que les hommes attendaient d’elle, un objet disposé à assouvir tous leurs fantasmes, leur soif de pouvoir et leur désir de domination, elle s’est équipée d’une webcam, elle s’est mise à recevoir virtuellement chez elle, elle est devenue une vulve, un cul, une suceuse, une « bolchevique du sexe », une pute, une escort-girl gratuite. Ainsi, elle pouvait dire adieu à ses illusions et à ses ingénuités de jeunesse. Pour la bonne exécution de la tâche, elle s’est musclée, contorsionnée, elle s’est lancée dans des exercices physiques (La Maison de la Force), elle s’est adonnée à des sports de combat, aux fins de devenir l’égal des hommes, elle s’est virilisée, elle est devenue femme-phallique, les hommes ne lui laissant pas d’autres choix.

C’est à ce moment que l’adversaire surgit. Pour ce nouveau rôle, l’interprète a endossé un pantalon. Positionné-e dans la salle, du côté des spectateurs, l’opposant administre à la chanteuse un discours débordant de haine et de testostérone, parole d’homme (de certains spectateurs peut-être, pas forcément dans la salle, mais dans la ville, dans la rue), des hommes qui veulent (jusqu’à quels points ont-ils raison ? jusqu’à quel point ont-ils tort ?) qu’elle cesse de se positionner en victime et de pousser sa plainte et qu’au nom des tragédies universelles ELLE FERME SA GUEULE !!!

C’était l’amour simplement que cette jeune femme recherchait, l’amour. Comment a-t-il été tué ? Il convient de revenir aux anciennes couches du récit. Le monde de la femme adulte est délaissé pour remonter à l’âge de l’enfance. La coupe doit être bue jusqu’à la lie. Lorsque la femme était enfant, elle a subi la perversité des hommes qui ont glissé leurs gros doigts boudinés sous sa culotte… Alors en effet, elle n’est pas jolie (mais on s’en contrefiche du relatif). En effet, le monde (des hommes) n’est pas davantage joli. Et nous savons bien qu’elle n’a rien inventé, que depuis le début de la pièce, elle n’invente rien, qu’importe si Angélica Liddell retrace une autobiographie ou non. Nous le savons, nous l’avons toujours su, depuis l’affaire Strauss-Kahn (et même avant), depuis l’affaire Weinstein, depuis l’affaire Tariq Ramadan, depuis l’hashtag « Balance ton porc » et depuis l’hashtag « Metoo », que des milliers, des centaines de milliers de femmes ont subi l’abus sexuel, le harcèlement, le viol. Angélica Liddell n’a rien inventé. Elle est l’interprète, la porte-parole, la porte-plainte universelle de toutes ses sœurs d’infortune.

Elle n’a pas envie d’être gentille (comme le signataire du spectacle certainement n’a pas envie d’être gentil envers le monde en général et envers le monde culturel en particulier). Alors cette femme n’a pas d’autres choix que de poursuivre sa guerre (mieux vaut sa guerre en temps de paix, que sa paix en temps de guerre : la meilleure défense étant toujours l’attaque).

Pour que la domination des hommes cesse. Enjeu majeur du XXIe siècle.

Courez-la voir.

Elle n’est pas jolie mais elle est belle

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"Le devoir de l'art est de fracasser les consciences" L. Calaferte